Papa, 20 ans déjà...
6 janvier 1990… J'avais 20 ans, et mon papa est décédé cette nuit-là. C'était il y a 20 ans.
C'est un "anniversaire" spécial pour moi car je n'ai connu mon papa que durant 20 années, et je viens d’en vivre 20 autres sans lui… A partir de maintenant, je peux dire que je vivrai plus longtemps que le temps que j'ai passé avec lui.
Quand il est mort, il avait 3 fois mon âge (60 ans). Aujourd'hui, s'il était vivant, il en aurait exactement le double (80).
Et j'ai exactement l'âge qu'il avait quand je suis née.
Ca me fait bizarre tout ça...
Je me suis longtemps demandée si j'allais vous parler de lui sur ce blog, car après tout, c'est quand même quelque chose de très personnel. Mais, comme me l’a fait très justement remarquer une amie, il est normal que je rende hommage à l’auteur de l’aquarelle qui a servie de couverture à mon premier roman.
Mon père était quelqu'un de bien, avec ses qualités et ses défauts, ses bons et ses mauvais côtés, comme tout le monde quoi… Je garde de lui de merveilleux souvenirs, et des souvenirs un peu moins gais, mais dans l'ensemble je n'ai pas eu à me plaindre. Des histoires, il y en a dans toutes les familles, n'est-ce pas ? J'estime avoir eu une enfance heureuse et j'aime me souvenir des moments privilégiés que j'ai passés avec papa. Comme quand il me racontait des histoires avant que je m’endorme, des histoires totalement inventées et tellement drôles, avec Minou, les 3 petits champignons ou encore les 3 petits lutins. Comment faisait-il pour imaginer toutes ces histoires « à la demande » ? C’était tous les soirs, mais également lorsque nous allions à pied jusqu’à l’église, chaque dimanche, à l’aller et parfois également au retour. Minou, c’était le soir, les champignons et les lutins, c’était quand on marchait. Que de fous rires nous avons connus, notamment durant la messe, à tel point que maman devait s’asseoir entre nous comme pour des gamins, mais dès que le banc était secoué, on devinait que l’autre riait et s’était reparti de plus belle.
Papa m’a appris l’alphabet et à compter avant que je n’entre à l’école ; il a tenté de m’apprendre le néerlandais, l’intention était bonne mais ce ne fut pas fructueux ; c’est lui qui m’a éveillé à la nature en m’expliquant des tas de choses durant nos promenades, en m’ouvrant les yeux sur ce qui m’entourait, en me faisant remarquer les détails, en créant des jeux d’observation, en m’offrant des livres sur les animaux. J’adorais ça et je pouvais lui poser un tas de questions auxquelles il répondait avec plaisir. Chaque année nous partions en vacances en camping et c’était l’occasion d’apprendre de nouvelles choses. Je me souviens que j’emportais toujours un livre sur la faune et la flore afin de pouvoir déterminer ce que j’avais l’occasion d’apercevoir. Ma passion pour la nature ? C’est clair que c’est lui qui me l’a transmise !
Papa savait à peu près tout faire. Il observait, réfléchissait, se renseignait, et puis il se lançait. Il avait un métier intellectuel, mais ça ne l’a pas empêché de créer de magnifiques choses. C’est ainsi que je l’ai vu construire seul les meubles du garage, ensuite ceux de la cuisine. Pas des meubles en kit à assembler, non, des meubles dont il a fait les plans puis qu’il a construits. J’ai adoré l’observer, tout comme lui l’avait fait auprès de son père. Plus tard, quand j’ai vécu seule, j’ai reproduit ses gestes et me suis construit deux meubles de rangement pour mes cassettes vidéos et mes CD. Oh, ils n’étaient pas parfaits, loin de là, mais ils étaient comme je les voulais et j’en étais très fière. En les construisant, je ne me suis jamais sentie aussi proche de mon père depuis qu’il n’était plus là. Comme s'il était à côté de moi et me disait comment faire. J'ai ressenti la même chose l'année passée, lorsque j'ai tapissé la maison toute seule. Je n'avais jamais fait ça de ma vie, mais j'avais vu papa le faire 25 à 30 ans plus tôt. Et j'ai fait ça comme un rien.
Papa peignait aussi. De magnifiques aquarelles basées sur des photos de vacances en Bretagne. Il n’a jamais voulu exposer ni vendre, et pourtant, son talent était réel. Pour moi, il s’était amusé à dessiner le fameux Minou de mes histoires d’enfant. Il s’était pris au jeu et avait commencé une sorte de bande dessinée qu’il n’a jamais terminée. J’ai tout gardé précieusement dans une farde comme un trésor. Dans ce domaine aussi j’ai voulu le suivre, et j’ai beaucoup dessiné étant enfant et pré-ados. Mais j’ai fini par abandonner.
Ca vous étonne si je vous dis que papa était également excellent en écriture ?
Papa, c’était des mains en or et une tête pleine comme un ordinateur.
Papa, c’était aussi un sacré caractère…
Mes souvenirs, je préfère les concentrer sur mon enfance que j’ai vécue entre des parents aimants et attentionnés, et 3 grands frères qui me faisaient rire et qui, sous leurs airs parfois bourrus, adoraient leur petite sœur… Après, à l’adolescence, ça devient moins drôle… Les 3 grands frères quittent la maison quasi tous en même temps, me laissant seule avec les parents. Mon père est mis à la retraite 4 ans plus tôt que prévu, il ne le digère pas, le compte en banque non plus… Malgré toutes ses occupations, il s’ennuie et trouve une chouette activité en surveillant de près sa petite fille devenue ado… Les relations se tendent, forcément, le fossé se creuse… Malgré tout, nous passions encore de beaux moments ensemble, heureusement, mais ce n’était plus comme avant. Sa fille lui échappait, et mon père m’étouffait. Bref, des relations parents-ados quoi. Puis, à 18 ans, quand j’ai arrêté l’école, il m'a appris à conduire, a fini par me faire confiance et a lâché la bride. Notre relation s’en est trouvée bien meilleure.
Papa n’a jamais voulu voir de médecin. Il n’était jamais malade. Les derniers mois de sa vie, il les a passés en souffrant, sans savoir ce qu’il avait, puisqu’il ne voulait pas consulter. Maman a appelé le médecin plusieurs fois, mais celui-ci n’a pas fait grand-chose… Et puis une nuit, papa s’est retrouvé paralysé d’un côté par une thrombose. Il a été emmené à l’hôpital et 3 jours après c’était fini… « Brutal » est le premier mot qui me vient à l’esprit quand je pense à sa disparition.
A 20 ans, on se croit adulte, on croit savoir beaucoup de choses et être indépendant. Je peux vous affirmer qu’à 20 ans, on a encore besoin de ses parents. Je me suis prise une claque immense, un véritable électrochoc.
Et 20 ans après, ça donne quoi ?
Je regrette que papa ne puisse pas connaître la femme que je suis devenue. A 20 ans, il a quitté une jeune hard-rockeuse au chômage qui ne savait pas ce qu’elle allait faire de sa vie… Vraiment pas de quoi être fier…
Aujourd’hui, j’aimerais pouvoir le rassurer, lui présenter l’homme que j’aime et avec qui il se serait bien entendu, j’aimerais lui montrer notre maison et l’endroit où nous vivons, il l’aurait apprécié, j’aimerais qu’il lise mes romans et avoir son avis, j’aimerais aller à nouveau me promener avec lui et débattre sur la nature et peut-être lui apprendre des choses à mon tour, j’aimerais lui raconter mes voyages et lui montrer mes photos, j’aimerais lui parler de mon boulot… J’aimerais lire la fierté dans ses yeux quand il me regarde…
Bien sûr, cette fierté, je la lis dans les yeux de maman et c’est déjà beaucoup. Mais ça ne m’empêche pas de souhaiter que papa, là où il est, me voit et soit rassuré.
Ma seule consolation, c'est la dernière chose que je lui ai dite, avant qu’il ne sombre définitivement dans le coma : « on t’aime tous papa ». Il m’a répondu : « moi aussi je vous aime tous » et puis c’est tout… L’essentiel était dit.
Aujourd’hui, je rajouterai : « Tu me manques, papa. Plus que jamais. Repose en paix » …