Cinq pages...
J’ai lu cinq pages.
« Oui, et alors ? » me direz-vous ? « Cinq pages, ce n’est pas exceptionnel, pas de quoi en faire tout un fromage ! ».
Mais attendez ! vous réponds-je.
« Cinq pages », c’est le titre du dernier roman de Josette Lambreth, une habituée de Chloé des Lys. Pourquoi habituée ? Parce qu’elle en est quand même à son quatrième livre ! Les deux premiers, « Vie(s) en tranches » et « Histoires aux senteurs d’ici », sont des recueils, l’un de sonnets, l’autre de nouvelles ; le troisième « Vaut méié in rir’ ! Alors rions... » regroupe des monologues picard-français. Car il faut bien l’avouer, Josette est une grande adepte de notre patois local, ce qui lui a déjà valu de nombreux prix littéraires !
« Cinq pages » est donc son tout premier roman qu’elle qualifie plutôt de « roman-documentaire », un mélange de roman et d’histoire sociale. Tout un programme !
« Bon, et elles racontent quoi ces cinq pages ? » allez-vous encore me demander.
Mais attendez, laissez-moi raconter ! Tout d’abord il n’y a pas que cinq pages, il y en a 405 !
« Et pourquoi ça s’appelle cinq pages alors » ?
Bon, ça suffit, arrêtez de me couper ou je n’explique rien. ça y est, vous êtes tout ouï ? Ok...
Le héros de l’histoire, Charles, un jeune étudiant de 17 ans, s’ennuie au cours d’histoire et, suite à une remarque qui lui échappe, se fait coller par son professeur. Résultat, il devra fournir, après les vacances de Pâques, cinq pages (ça y est, on y arrive) sur la vie des jeunes à la campagne vers 1900. Tache ardue, apparemment, puisqu’il ne trouve rien ou presque sur le sujet. Le hasard fait qu’il rencontre pour la première fois son grand-père paternel avec qui le père de Charles est en brouille depuis de nombreuses années. Ce grand-père tant redouté s’avère être un précieux allié pour le travail que Charles doit fournir à son prof, et c’est sous le couvert du mensonge que le jeune homme fréquentera son grand-père durant plusieurs semaines.
Les longs échanges qu’il a avec son aïeul modifient complètement sa vision de la vie et, il faut bien l’avouer, la nôtre aussi. Ce roman nous plonge dans l’univers campagnard de 1900, avec ses peines et la dure réalité d’autrefois mais aussi avec ses joies et la solidarité qui liait les gens. Tous les sujets y passent : le manque de confort des maisons, les transports quasi inexistants, la rudesse des travaux, la pauvreté des repas, la difficulté de s’instruire, les vêtements et les chaussures à préserver,... mais aussi la joie des fêtes de village, l’engouement pour les jeux d’antan, les coutumes à respecter, les métiers presque oubliés, les objets de la vie quotidienne,...
C’est avec joie que j’ai relu certains mots que j’entendais ou utilisais encore quand j’étais enfant, tel que « carnassière » ou « plumier ». Mon plaisir à lire ce livre a été d’autant plus grand que l’histoire se passe dans ma région. Même si Josette s’est amusée à détourner les noms des lieux, j’ai bien reconnu le musée du folklore, l’écluse, notre joli mont et les rues des villages. J’ai aimé retrouver des recettes de cuisine typiques d’ici, entendre parler des traditions qui se suivent encore aujourd’hui ou me souvenir de ce que mes parents m’avaient déjà racontés de leur enfance et de celles de leurs parents.
Le livre de Josette Lambreth nous ouvre les yeux et remet les choses à leurs places. Nous qui faisons nos courses dans des supermarchés et passons un temps infini à choisir ce qu’on va manger au soir quand nous serons rentrés dans notre maison bien chauffée, qui passons autant de temps le matin devant notre placard à nous demander ce qu’on va enfiler (surtout pas ce chemisier, je l’ai déjà mis il y a 15 jours !), nous qui avons la télé numérique, internet, un ou deux téléphones portables, parfois plusieurs voitures par famille, et nos sacro-saints appareils électroménagers (Dieu bénisse l’inventeur de la machine à laver !!), nous nous prenons une belle claque en lisant ce roman criant de vérité.
Mais comme le signale avec plein de sagesse le grand-père de Charles : « La réalité de jadis, ça paraîtra « rétro », comme on dit, à des tas de gens. Mais le présent et le futur en dépendent et on ne peut pas expliquer aujourd’hui et demain sans se référer à hier ! Beaucoup de nos contemporains veulent gommer tout ça, peut-être parce que ça les dérange d’imaginer qu’ils ont de la chance par rapport à leurs ancêtres. « Ils faut vivre avec son temps » disent-ils. Avec raison, bien sûr, mais il ne faut pas oublier pour autant le lien qui nous rattache à ceux qui ont vécu avant nous sur cette minuscule partie de la planète. Ces évidences, ces façons d’être et d’agir que des générations, les unes après les autres, se sont transmises, il faut les garder à l’esprit et s’en inspirer à son tour, sous peine de perdre ses racines et, au-delà, son âme. Car il ne faut pas s’y tromper : ce que certains considèrent aujourd’hui comme des vérités et des marques de progrès seront désuètes demain... »
Vous l’aurez compris : j’ai aimé ce roman – documentaire - livre d’histoire sociale, appelez-le comme vous voulez. Ne vous fiez pas à l’aspect « historique » du roman, vous y trouverez aussi du suspense car on ne peut s’empêcher de se demander si le grand-père est au courant que... Si Charles va réussir à... Comment son père va réagir quand... Et la qualité d’écriture est excellente, ce qui ne gâche rien.
Je conclurai en conseillant sa lecture à tous les étudiants en secondaire. Une bonne claque à leur i-pod ou autre gadget soit-disant révolutionnaire sans lequel ils ne parviennent déjà plus à vivre...
« Cinq pages » de Josette Lambreth
Editions Chloé des Lys
405 pages
ISBN 978-2-87459-455-7